Les miels de la Brousarède

La vie d'une colonie au fil des saisons

Les abeilles sont des insectes sociaux.
La notion d’individu perd tout son sens quand on veut comprendre ce qui se passe dans une ruche. Il faut donc penser au niveau de la colonie, composée de l’ensemble des individus vivants d’une ruche (la ruche, c’est l’habitat).
Une colonie est donc composée de trois types d’individus : la reine, l’ouvrière et le mâle ou faux-bourdon. Dans une ruche en bonne santé, ce sont les ouvrières qui sont, et de loin, les individus les plus abondants. Mais prenons ces trois « castes » les unes après les autres.

Les protagonistes 
La reine 

reine marquée Sauf cas très particulier (nous en parlerons plus loin), une colonie ne compte qu’une seule reine. Son rôle principal est de pondre ; en effet c’est sur elle seule que repose l’avenir de la colonie. Elle peut pondre deux types d’œufs : des œufs non fécondés qui produiront des faux-bourdons ou des œufs fécondés par sa spermathèque qui donneront des femelles. Deux cas de figures s’offrent alors : suivant l’alimentation de la larve ces œufs deviendront de simples ouvrières (cas général), ou de nouvelles reines (cas particulier que nous développerons plus bas).

En pleine saison, la reine pond jusqu'à 2 000 œufs par jour ; en une année les meilleures reines pondront jusqu’à 200 000 œufs !

La reine joue également un rôle de cohésion au sein de la colonie. Mais une colonie d’abeilles domestiques n’est pas pour autant une « monarchie absolue » : la reine, malgré l’importance de son rôle, son unicité, n’a pas tous les pouvoirs (comme nous le verrons lors de l’essaimage). Autre particularité, sa longévité : elle peut atteindre l’âge canonique de cinq ans ! Mais plus généralement elle ne dépasse pas  trois ans ; ce qui reste remarquable pour un insecte. Nous allons voir très vite que l’espérance de vie des autres membres de la colonie est autrement plus brève.

Une reine vierge (encore non fécondée) se distingue peu d’une ouvrière : à peine un peu plus grande. Par contre, après sa fécondation son abdomen se développera énormément pour assurer sa lourde tâche de pondeuse exclusive. Impossible alors de la confondre avec une ouvrière.

L’aiguillon de la reine est lisse, à la différence de celui de l’ouvrière. Cette particularité lui permet de piquer à plusieurs reprises.

L’ouvrière 

ouvrières sur un rayon de miel C’est l’élément de base de la colonie qui peut en compter jusqu’à 80 000 pour les plus grosses. Plus communément, une colonie comptera modestement 50 000 individus au plus fort de son développement ! L’ouvrière passera facilement aux yeux du non-initié pour l’esclave de la colonie. Ce n’est pas si simple comme nous le découvrirons notamment lors de l’essaimage ! Il est vrai que toutes les tâches (à part la ponte) reposent sur ses maigres ailes (les mâles ne font pas grand chose !). Dès les heures qui suivent son éclosion, elle se charge du nettoyage des cellules (en commençant souvent par celle qui l’a vue naître). Puis plus tard, il faudra s’occuper de la construction des brèches de cires, du stockage du nectar, de sa ventilation pour le transformer en miel, du nourrissage des larves, des mâles (qui ne sont même pas capables de se nourrir seuls !), du gardiennage de la ruche pour finir par aller butiner à l’extérieur. Car ce sont les plus vieilles ouvrières qui accomplissent les tâches les plus techniques et les plus risquées ; s’il leur arrive un accident (les possibilités sont nombreuses) la perte est faible pour la colonie puisqu’il s’agit d’un individu arrivant en fin de vie. En effet l’espérance de vie d’une ouvrière en saison n’est que de quatre semaines. Seules les ouvrières d’hiver, qui doivent faire la jonction durant la mauvaise saison où la reine s’offre des vacances hivernales, vivent plus longtemps (quelques mois).

L’aiguillon de l’ouvrière n’est pas lisse comme celui de la reine (et des guêpes). En piquant elle perdra tout sont appareil vulnérant et mourra peu après.

Le mâle ou faux-bourdon

Il a pour rôle principal de participer à la fécondation d’une reine. Il ne participe à aucune tâche effective de la colonie et doit être nourri par les abeilles. Il est par contre (en période de reproduction) accepté dans toutes les colonies (ce qui est plus difficilement le cas pour une ouvrière : il n’est pas conseillé de se tromper de porte en rentrant le soir !). Autrefois, il était même considéré comme une bouche inutile par les apiculteurs. Il semble toutefois que sa présence ait également un rôle de régulateur au sein la colonie et joue un rôle dans le développement du couvain (chaleur). Le faux-bourdon, plus volumineux que les ouvrières, est doté d’une grosse paire d’yeux très rapprochés, forts utiles pour s’orienter et repérer les reines en vol. Les mâles n’ont pas de dard et ne peuvent donc piquer.

 

Au fil des saisons

Après cette rapide présentation des protagonistes, le plus simple pour mieux les connaître est de suivre leurs activités au cours de l’année.

 

La morte saison, le règne des abeilles d’hiver

Durant tout l’hiver, la colonie fait la grappe : les abeilles forment une masse compacte et par contraction des muscles thoraciques maintiennent une température de 13° minimum au cœur de la grappe, quelle que soit la température extérieur. Les abeilles de l’extérieur passent régulièrement à l’intérieur de la grappe pour se réchauffer et ainsi de suite.

Dès le mois de janvier, avec l’allongement des jours, la reine reprend sa ponte. Il semble que la température influe peu cette reprise d’activité, mais que ce soit surtout l’allongement des jours qui en soit à l’origine. La température au niveau du couvain doit être alors d’au moins 30°. À cette période, seules de futures ouvrières sont pondues. Et elles ne survivront que si les conditions météo sont convenables. En effet, la colonie est capable de réguler sa population à venir : en cas de famine, de grand froid, les jeunes larves sont cannibalisées. Ce phénomène de régulation a également lieu lors des périodes de disette au cours de la belle saison (au beau milieu de l’été par exemple).

Pontes Ces premières pontes sont modestes et se cantonnent à l’intérieur de la grappe (pour garantir la chaleur nécessaire au développement des larves). À cette période, la colonie vit sur ses réserves. Les abeilles profitent des rares beaux jours pour de rapides sorties sanitaires. La vie de l’abeille d’hiver ne semble pas exaltante : pas de butinage, pas de spectaculaire construction de cire… Pourtant tout l’avenir de la colonie repose alors sur elle. Ce sont ces abeilles qui élèveront les nouvelles générations d’ouvrières, qui rapporteront l’eau fraîche nécessaire à l’élevage des premières larves, qui butineront les premiers pollens, ces protéines si indispensables au bon développement des larves. Ces abeilles hors normes sont nées à l’automne dernier et leur espérance de vie est exceptionnelle pour des ouvrières.

 

Prémices printanières et velléité d’expansion

Couvain d'ouvrières Mais le temps passe, et déjà de nouvelles générations succèdent à ces ouvrières de l’an passé. La colonie monte lentement en puissance, les ressources se font de moins en moins rares. Les butineuses rapportent des provisions de nectars et de pollens de plus en plus abondantes et de plus en plus variées. La ponte de la reine en est toujours plus stimulée, atteignant jusqu'à 2000 œufs par jour ! Les jeunes abeilles bâtissent de nouvelles brèches pour offrir la place nécessaire aux pontes à venir et pour le stockage des provisions. La colonie va ainsi progressivement passer de 20 000 jusqu’à parfois 80 000 individus.

Dés le début du printemps, le couvain (ensemble de la ponte et des larves) jusqu’alors uniquement constitué de futures ouvrières, va voir apparaître les premières larves de faux-bourdons. La reine pond généralement ces œufs non fécondés, donc haploïdes, sur les côtés du nid à couvain.

 

Explosions florales, saison des fugues et des amours aériennes

Il se peut alors que la place vienne à manquer. Tous les espaces de la ruche sont occupés, soit par du couvain, soit par les réserves de pollen et de miel. Le nombre d’abeilles est considérable, et l’influence hormonale de la reine est de moins en moins omniprésente ; en périphérie de la ruche, certaines ouvrières prennent alors l’initiative d’élever des cellules royales : à partir d’un simple œuf d’ouvrière qu’elles nourriront exclusivement et abondamment de gelée royale se développera une nouvelle reine. La ruche se prépare à essaimer ! Une vingtaine de cellules royales peut ainsi être élevée par les ouvrières. Parallèlement la reine est moins nourrie : elle baisse sa ponte, pour finir par l’arrêter totalement ; elle perd également beaucoup de poids et le volume de son abdomen se réduit considérablement. Ce qui lui permettra de prendre son prochain envol. Dans la ruche, c’est une véritable révolution qui est en cours. Bientôt, la vieille reine est forcée de quitter la ruche, accompagnée tout de même par quelques milliers d’ouvrières : c’est l’essaimage.

détail d'un essaim Généralement, la première étape de cette aventureuse expédition est courte : les protagonistes, gorgés du miel de leur ancienne ruche se posent sur un support : classiquement branche ou tronc, mais des variantes plus originales peuvent arriver (j’ai reçu un témoignage où ce fut un monsieur attendant son train !). Le phénomène est très impressionnant, mais à ce stade, les abeilles sont très douces, peu ou pas agressives car justement gorgées de miel. Pendant quelques heures, voire un jour ou deux, cette grappe reste en place alors qu’une partie des ouvrières ira rechercher un site potentiel où s’installer définitivement. Dans la nature, c’est souvent un arbre creux. Mais désormais les volets fermés des maisons secondaires ont également un grand succès, de même que les conduits de cheminée. Les légitimes propriétaires ont ainsi la « joie » de découvrir à leur retour que quelques milliers de petits squatters vrombissants ont construit de magnifiques brèches de cire entre leurs volets et leur fenêtre durant leur absence.

Rappelons que les abeilles sont protégées et qu’il est interdit de détruire un essaim. En pareil cas, il convient de contacter un apiculteur qui vous débarrassera de ces locataires parfois peu commodes ! Mais en pareil cas ne tardez pas : plus vite l’apiculteur interviendra, plus facilement vous serez débarrassés de vos petits envahisseurs.

Capture d'un essaim Malheureusement, dans la nature, l’espérance de vie d’un essaim est très faible. Hormis les cas où il est récupéré par un apiculteur qui lui donnera les meilleures conditions pour se réinstaller, ses chances de survie sont maigres. N’oublions pas que c’est souvent une reine déjà âgée qui part ainsi à l’aventure (avec les problèmes actuels, les reines ne vivent plus aussi longtemps qu’avant). En outre le milieu naturel est également de moins en moins favorable à l’abeille (moins de ressources à l’année, moins de vieux arbres…). Et c’est sans compter les fragilités génétiques et sanitaires toujours plus marquées ces dernières années.

 

Mais revenons à notre ruche qui vient de lâcher un essaim et donc de se séparer de sa vieille reine. La première reine vierge vient tout juste d’éclore. Elle va s’empresser de supprimer toutes ses sœurs. Au bout d’une semaine, elle va vivre sa première grande aventure : son vol de fécondation. Par beau temps, elle quittera la ruche pour se faire féconder par des mâles, en des lieux parfois éloignés de plusieurs kilomètres de la ruche, où se réunissent les mâles de nombreuses ruches. Ces secteurs de rassemblement sont connus, et ce sont les mêmes d’une année à l’autre ; mais l’on ne sait pas pourquoi ni comment les bourdons et les jeunes reines se réunissent précisément là ! La reine y sera fécondée par plusieurs mâles, d’une part pour remplir sa spermathèque (la fécondation a lieu pour toute la vie) et pour assurer un bon brassage génétique. Ainsi au sein de la colonie, toutes les ouvrières ne seront pas issues du même père ! Concrètement, l’accouplement aura lieu en vol, à environ 10 m de haut. Après l’acte, le faux-bourdon meurt rapidement : en effet lors de l’accouplement il rentre en contact avec l’aiguillon de la reine et lui abandonne une part de ses attributs ! Le mâle suivant doit d’ailleurs retirer les attributs de son prédécesseur avant de pouvoir tenter de perpétuer ses propres gènes !

Rassemblement dans la ruche Après une semaine, la jeune reine commencera à pondre. Elle ne ressortira que si la ruche essaime, un ou deux ans plus tard généralement.

 

Voilà pour le cas classique d’essaimage. Mais de nombreuses variantes peuvent arriver. Ainsi, plusieurs reines peuvent coexister un petit moment et partir chacune avec un essaim d’abeilles : on parle alors de fièvre d’essaimage.

Parfois la vieille reine est remplacée par une nouvelle, élevée par les ouvrières, sans qu’il n’y ait de départ d’essaim (on parle alors de supersédure).

 

Quand l’été rappelle l’hiver

Mais pendant toutes ces petites révolutions, une bonne partie des ouvrières a continuée son travail d’amassage en vue de la mauvaise saison : car l’automne approche. Déjà au courant de l’été la population de la colonie a naturellement commencé à décliner. Après une petite reprise avec les floraisons d’automne (lierre, etc.) pour fournir à la colonie un volume d’abeilles d’hiver suffisant, la ponte ne va cesser de baisser pour s’arrêter tout à fait courant novembre (plus ou moins, suivant l’année et la région). À nouveau la colonie va être confinée en grappe dans la ruche, préservant ses forces pour la future saison. La boucle est bouclée !

 

Ainsi, en quelques lignes nous venons de partager une année d’activité d’une ruche livrée à elle-même. L’apiculteur s’appuie et s’inspire toujours de ce cycle immuable. Toutefois, pour pouvoir vous proposer du miel, du pollen, de la propolis ou de la gelée royal, il se trouve obligé de rompre une part de ce fragile équilibre, de détourner en sa faveur les qualités naturelles de l’abeille.

Beaucoup d’apiculteurs sont convaincus que la meilleure apiculture pour l’abeille est encore celle qui sait rester aussi proche que possible du cycle naturel de l’abeille.

C’est finalement tout l’art de l’apiculture : ne pas tuer la poule aux œufs d’or, et ce en n’oubliant pas les besoins et les volontés fondamentales de l’abeille.

 

En complément

Une année d’activité vue sous l’angle des ressources botaniques à la page « Flore mellifère en Cévennes ».

 

Quelques définitions

Brèche : construction de cire (constituée d’alvéoles) permettant le stockage des réserves (pollen et miel) ou l’élevage des larves.

Colonie : ensemble des individus (ouvrières et faux-bourdons) installés dans une ruche, généralement rassemblés autour d’une reine.

Essaim : ensemble des individus (ouvrières essentiellement) issus d’une ruche, en recherche d’un nouvel habitat ou en cours d’installation (essaim naturel ou sauvage). En apiculture (essaim artificiel), jeune colonie confectionnée par l’apiculteur.

Diploïdes : se dit du noyau cellulaire, de la cellule qui possède un double assortiment de chromosomes semblables (2n).

Haploïdes : se dit du noyau cellulaire, de la cellule qui possède un stock simple de chromosomes.

Propolis : sécrétion végétale essentiellement récoltée sur les bourgeons de certains arbres (peupliers notamment), utilisée pour colmater les interstices de la ruche et isoler les éléments extérieurs.

Ruche : habitat d’une colonie (avec ou sans abeilles !).

Spermathèque : organe de stockage des spermatozoïdes en vue de la fécondation future des œufs.

 

PJ novembre 2010